Dans la première partie de cette interview, Frédéric Mitève, directeur chez Acemis, nous a parlé du point de départ pour transformer une organisation : D’abord définir l’ambition – ce que l’on veut faire vivre aux clients – et définir les parcours clients puis en déduire les chantiers à lancer ou ajuster les chantiers en cours pour que l’expérience client souhaitée devienne une réalité.
► Alors, comment bien amorcer un projet de transformation par l’expérience clients, faut-il se comparer à ses concurrents ? Se comparer à ses concurrents a un sens pour les produits, par exemple pour des contrats d’assurance, mais en matière d’expérience client, il s’agit de vécu, de ressenti ou d’émotion dans des situations qui sont comparables quel que soit le secteur d’activité.
Les clients comparent – plus ou moins consciemment – la SNCF, Décathlon, Orange, la BNP ou Axa … après une visite dans un point de vente, une conversation téléphonique ou une visite sur un site ou sur une application. Il est donc préférable de se comparer aux acteurs qui produisent les meilleures expériences clients.
Les consommateurs s’habituent rapidement aux meilleures expériences et peuvent juger sévèrement, et même quitter, ceux qui ne sont pas au rendez-vous de la simplicité, de la prévenance ou de la réactivité.
► Et quels impacts sur la communication vers les clients ?
Une évolution importante liée à la prise en compte de l’expérience clients consiste à changer d’objectif premier dans la communication. Chercher tout d’abord à créer un lien fort et durable avec les clients en leur apportant de la valeur plutôt que communiquer d’emblée sur des produits qu’on cherche à vendre.
En ayant identifié les situations à risque ou les principaux points de complexité perçus par les clients, on peut devancer les attentes du client …
Exemple 1
Par exemple, ORANGE propose un service « sauvons les LiveBox », qui cible les clients habitant dans une zone où un orage est prévu à très courte échéance, et qui leur recommande de débrancher la LiveBox de façon préventive. 30 0000 LiveBox ont pu ainsi être sauvées tout en générant une économie significative pour Orange. Par ailleurs, ORANGE peut détecter les live box foudroyées et proposer un échange rapide aux clients en boutique ou en point relais.
Beaucoup de marques s’intéressent aux événements de vie des clients pour créer du lien avec eux en communiquant sur des sujets d’abord intéressants pour eux.
Exemple 2
Par exemple, beaucoup d’acteurs s’intéressent à la communication autour du déménagement. C’est en même temps un moment de stress pour les clients et un moment de risque ou d’opportunité pour les marques, le client pouvant être amené à changer de banque ou d’opérateur télécom.
Si on accompagne le projet de déménagement d’un client de façon personnalisée et proactive, on crée un lien fort et durable en envoyant le message « nous sommes à vos côtés dans les moments où vous en avez le plus besoin … sous-entendu… et pas uniquement quand on a envie de vous vendre quelque chose. »
Ceci permet souvent par ailleurs de mieux connaître ses clients et d’augmenter le nombre de contacts, notamment dans les secteurs, comme l’assurance, où ils sont peu nombreux.
► En parlant de points et de motifs de contact, que pensez-vous de la dichotomie des contacts entrants et sortants ?
C’est une question très orientée entreprise où les organisations sont souvent différentes pour l’entrant et le sortant. Mais les clients, eux, ne s’en soucient pas.
Exemple 3
J’ai reçu un email (ex : mon banquier m’informe …) émis par le marketing, j’appelle le centre de contacts ou je me rends à l’agence la plus proche pour en savoir plus … Et je m’attends à ce que mon interlocuteur puisse m’apporter une réponse adaptée.
On doit donc chercher à créer les mêmes ressentis clients quel que soit le point de contact et le contexte, par exemple « je me sens toujours conseillé de façon personnalisée au mieux de mes intérêts » ou « je me sens toujours écouté ».
Ce n’est pas évident car les organisations qui traitent ces contacts sont souvent cloisonnées. C’est aussi vrai en termes d’outils avec d’un côté des spécialistes du sortant et de l’autre côté les spécialistes de l’entrant, même si des solutions CRM ou collaboratives peuvent permettre de faciliter le partage d’informations.
C’est plus facile si les principaux choix d’organisation ou de système d’information prennent en compte des besoins issus de l’expérience clients souhaitée.
► Et que pensez-vous de la multiplication des canaux de communication et de leurs usages ?
On constate que beaucoup d’entreprises ont « empilé » et juxtaposé les canaux au fur et à mesure de l’apparition des solutions pour les gérer.
A l’origine, les canaux « off line »
- Les points de vente
- Les centres d’appels
Puis de plus en plus de nouveaux canaux « on line »
- Les emails
- Les canaux permettant des interactions digitales en temps réel, comme le tchat
- Le communautaire
Et on constate aujourd’hui une double évolution :
- une prise de conscience côté entreprises que les systèmes créés sont complexes pour elles et pour leurs clients avec une vraie difficulté pour évoluer à partir de l’existant
- une forte convergence des canaux chez les éditeurs des solutions avec une course aux canaux de communication avec le « tous canaux en 1 solution ».
La solution passe en effet en partie par la technologie mais demande aussi une vision précise du rôle de chaque canal dans les différentes situations clients et dans les parcours clients.
Exemple 4
Chez Acemis, nous réalisons des cartographies multicanales. Pour chaque canal, par exemple vendeur en boutique, bornes interactives, télé-conseillers, site web, appli mobile ou encore vendeur en ADV, et pour chaque parcours client, nous analysons la pertinence du canal.
► Et comment les entreprises peuvent-elles s’y retrouver dans cette multiplicité de solutions qui adressent les différents types de contacts et les différents canaux ?
D’abord et encore en partant des clients.
A partir de cette approche et de nos expériences, Acemis a créé un panorama du marché des solutions, le Panor@acemis, actualisé en continu, qui classe les solutions selon les situations d’interactions clients et les canaux de communication :
- Relation en face à face, individuelle
- Relation à distance, individuelle ou en masse
- Relation communautaire entre clients
- Self service
Certains éditeurs sont des spécialistes d’une catégorie d’interactions, par exemple le communautaire. D’autres peuvent être considérés comme des généralistes couvrant toutes les situations d’interaction. C’est le cas des leaders qui couvrent un périmètre très large avec un ensemble de solutions, souvent issues de rachats ou de partenariats et qui peuvent être plus ou moins bien être intégrées entre elles.
Par ailleurs, il est important de distinguer les solutions :
- Qui impactent directement l’expérience clients car le client est utilisateur : espace personnel, application mobile, tchat, vidéo, messaging, conversations digitales.
- Qui impactent indirectement l’expérience clients en optimisant le travail des collaborateurs en relation avec les clients : solutions CRM, force de vente, marketing, back office de traitement d’emails,…
Ceci dit, choisir le ou les bons outils ne suffit pas et nous constatons souvent dans de nombreux projets CRM que le client est oublié. Certaines solutions sont conçues uniquement pour répondre aux besoins internes sans prendre en compte les pré-requis pour délivrer une expérience de qualité aux clients.
Il faut toujours remettre les choses à l’endroit en partant de ce que vit le client :
- D’abord, ce que vit le client (parcours clients)
- Ce que le client et le collaborateur vivent ensemble (interactions)
- Ce que l’entreprise fait pour que le client et le collaborateur interagissent (processus)
- Enfin, ce que le système d’information doit contenir pour permettre au conseiller d’accompagner son client (applications et données)
► Et y-a-t-il des particularités dans l’approche pour gérer ces projets de transformation qui partent réellement des clients ?
Oui, je citerai une particularité principale : choisir l’expérience clients comme premier critère d’arbitrage et de sélection des priorités, ce qui implique également de choisir des indicateurs de mesure qui traduisent la perception du client.
Ceci permet de dépasser les clivages internes et d’arbitrer plus facilement et de façon plus objective, les priorités entre les idées d’amélioration ou entre les projets à lancer au lieu de décider en fonction des arguments avancés par chaque direction.
Concernant les canaux de communication, ils sont souvent pilotés par des directions différentes :
- le Marketing pour le site web, avec les bases de connaissance et les formulaires de contact
- le Centre de contact pour la voix, les emails ou le chat, …
- la Communication, ou une direction digitale, pour les réseaux sociaux, le développement d’espaces clients ou d’applications mobiles pour les clients
- le Commercial, avec les forces de vente et les réseaux de points de vente
- sans oublier la DSI
Dans ces organisations, il est particulièrement important de piloter en pensant d’abord au client … on est ainsi au-dessus de la mêlée, sans jugement de valeur. Par ailleurs, compte tenu de la difficulté à anticiper de façon certaine les réactions des clients, il convient de privilégier l’expérimentation. Pour transformer par l’expérimentation on commence par tester sur un périmètre limité, par exemple sur l’un des parcours clients.
Oui, car nous ne l’avions pas encore évoqué, mais parler « du parcours client » n’a pas de sens du point de vue des clients. Chaque parcours clients correspond à une expérience différente : parcours d’achat, parcours de réclamation, …
L’approche d’expérimentation ou de « Test and Learn » présente également d’autres intérêts : adapter les solutions à la perception et aux réactions des clients et par ailleurs, convaincre progressivement en interne par la preuve que oui, ça marche et ça donne de vrais résultats … pour les clients et pour l’entreprise.
Pour l’entreprise, des résultats économiques significatifs sont constatés :
- des économies : une expérience clients de qualité évite des actes inutiles coûteux
- des gains : un parcours d’achat bien conçu génère plus de ventes
► En conclusion, vous qui avaient vu l’évolution du marché des solutions, quelles tendances se sont consolidées ces dernières années ?
Nous avons déjà évoqué une première tendance, la convergence des canaux de la relation client pour répondre au client omnicanal : D’une solution par canal aux offres multi canaux.
On assiste également à la fusion du monde de la vente et du marketing. C’est une tendance lourde qui se traduit par de nombreux rachats de solutions marketing par des éditeurs généralistes et facilite un processus commercial transverse : « du lead au deal ». Les leads générés par le marketing digital sont transmis aux forces de vente pour l’action commerciale et peuvent ensuite être recyclés par le marketing, quand la vente n’aboutit pas.
Enfin, on ne peut pas conclure sans évoquer les évolutions qui concernent les données clients. Pour obtenir la vision 360 des clients, les solutions CRM ne suffisent plus.
Aujourd’hui, au-delà des données issues des transactions et interactions humaines avec les clients que l’on trouve dans les solutions CRM, les sources de données se multiplient, avec :
- les données digitales : les traces que laissent les clients lors de leurs visites sur les sites (exploitées par les DMP – Data Management Platform)
- les données fournies par les clients eux-mêmes qui deviennent un enjeu de plus en plus important (« Donner ses données » : c’est une expérience clients en soi qu’il est important d’anticiper)
- et les données d’usage de produits qui vont exploser avec les objets connectés
Cette évolution implique de nouvelles réflexions sur l’architecture des données et exige de prendre en compte les données clients dans les projets de transformation par l’expérience clients.